Le "Grand Tour" désigne le long voyage initiatique effectué en Europe par les jeunes hommes, et plus rarement les jeunes femmes, des plus hautes classes de la société européenne (puis plus tardivement russe et américaine) pour devenir un « compleat gentleman » (Peacham, 1623). Apprenez en plus sur ce qui peut être considéré comme l'ancêtre de notre actuel Programme Erasmus ...

Dès le Moyen Âge, les étudiants de familles nobles pratiquaient la "peregrinatio academica", qui consistait à se « déplacer » d'une université à l'autre.
Mais cette pratique médiévale se perdit progressivement avec la coupure de l'Europe universitaire, en fonction des barrières confessionnelles et étatiques, puis avec la disparition du latin comme langue internationale d'enseignement universitaire.
La pratique du voyage initiatique appelé "Grand Tour", mais aussi Junkerfahrt ou Cavaliertour, émerge vers le milieu du XVIe siècle, pour culminer au XVIIIe siècle jusqu'au XIXème. Le principe étant de transmettre par l'expérience plutôt que par l'autorité du maître, les maîtres-mots de ce périple sont : curiosité, disponibilité, sociabilité.
Réalisé pendant ou juste après leurs études par les jeunes gens de l'aristocratie, l'intérêt de ce voyage est avant tout éducatif. Durant plusieurs années (jusqu'à 5 ou 6 ans pour les familles les plus fortunées !) ce rite initiatique revêtait différents aspects, notamment parfaire la pratique des Arts de la Cour (art équestre, escrime, musique, danse) d'aiguiser son sens politique en comparant différent systèmes. Les principales destinations sont en effet l'Italie, la France, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suisse. Certains vont même jusqu'en Grèce et au Proche-Orient, et parfois en Perse.

C'était également l'occasion de pratiquer les langues vivantes et d'élargir son réseau de connaissances. En effet il se nouait, tout au long du voyage, des liens amicaux avec des jeunes de même milieu social, promis au même type d'avenir qu'il soit diplomatique, militaire, politique ou encore commercial, au sein de dans différents pays.
Par ailleurs, le Grand Tour avait également une fonction sociale puisqu'il constituait un élément de reconnaissance ou d'ascension sociale en affirmant et les moyens financiers du voyageur et sa vaste culture de ce qui "doit être vu" à l'époque, que ce soit avant son départ, ou après son retour.
On visitait d'ailleurs toujours les mêmes hauts lieux culturels... Ainsi pour être complet ce voyage commençait par la France où l'on admirait le classicisme de Poussin et du Lorrain, comportait parfois une boucle aux Pays-Bas afin de découvrir le génie des maîtres hollandais. Se rendant ensuite en Italie, on y contemplait les maîtres de la Renaissance du Cinquecento (Raphaël, Michel-Ange et Léonard de Vinci) mais aussi et surtout les vestiges de l'Antiquité romaine à Pompéi et Herculanum. Enfin, on terminait son périple aux racines de la culture occidentale, c'est à dire en découvrant la Grande Athènes du Vème siècle et son Acropole.

"Lord BYRON contemplant le Colisée de Rome", peint par WILLMORE
Bibliotheque des Arts Decoratifs, Paris, France.
On parle moins d'un dernier aspect de la fonction éducatrice de ce voyage : l'éducation sexuelle. L'étape de Venise était notamment connue pour parfaire la formation du Grand Tour qui n'était alors plus seulement intellectuelle, mais également... "virile" !
Au cours de la Révolution, puis des guerres de l’Empire, la pratique s'essouffle. Les étapes sur le continent étant interdites, les jeunes gens partirent plus loin, parfois jusqu'au Levant. Le Grand Tour reprit à la Restauration sans connaître toutefois la popularité du siècle précèdent. Aujourd'hui, peut-être peut-on considérer le Programme européen Erasmus comme sa variante actuelle...
Pratique nécessaire à toute bonne éducation pour des jeunes gens issus de l'aristocratie cultivée, le Grand Tour devient aux XVIIIe et XIXe siècles, l'apanage des amateurs d'art, des écrivains. Dans son ouvrage "Le Grand Tour revisité : pour une archéologie du tourisme : le voyage des Français en Italie, début XVIIIe milieu XIXe siècle", Gilles Bertrand nous cite quelques grands noms tels que Montesquieu, François Boucher, Buffon, Le Duc de Choiseul, Fragonard, André Grétry, La Rochefoucauld, D'Alembert, le Marquis de Sade, Elisabeth Vigée Le Brun, Stendhal, Chateaubriand, Madame de Staël, Goethe, Alexandre Dumas...
Enfin, on peut noter l'influence que ce rite initiatique aura eu à différentes époques. Il était en effet courant de ramener des souvenirs de son périple. En témoigne :
- le succès des "vedute" : ses représentations en perspectives des paysages urbains, comme les vues de Venise, reprises notamment par Antoine Bouvard ou des ports hollandais avec la vue de Delft de Vermeer.
- le retour du classicisme après les excès exubérants du Style Rocaille : avec le style Transition et le style Louis XVI.
Plus tard, ces voyages empreints des mystères de l'Orient, donneront naissance à l'Orientalisme...